Mes chers frères, ou devrais-je dire désormais mes chers cousins.
J'ai changé, profondément changé. Ce qui me définissait dans mes relations avec le reste du monde n'est plus. J'ai désormais un nouveau but, une nouvelle mission : comprendre ce que je suis devenu. Mon coeur s'est assombri, mais cela n'a rien d'un mal, je sens que ce n'est qu'une condition nécessaire pour découvrir ce nouveau monde qui s'ouvre à moi. Devriez-vous en être inquiets ? Je ne crois pas. Même si tout mon être traverse une période de transition et de mutation bien au-delà de ce que j'aurais pu imaginer, l'essence de ma morale et de mes convictions ne me paraît pas altéré.
J'ai perdu certains pouvoirs, certaines sensations aussi. J'en ai également gagné de nombreux, même si je ne cerne encore qu'une infime partie des changements qui s'opèrent en moi.
Adieu pour moi les champs magiques. Ou du moins ceux qui formaient mon pentacle aujourd'hui brisé. Un des fondements de mon ancienne nature m'est dorénavant totalement étranger. Et c'est sans doute ce qui est le plus perturbant dans mon nouvel état. Je ne peux plus compter sur le soutien et le réconfort de cette magie. Ce qui m'apportait énergie, puissance, sérénité et détermination ne m'est même plus visible. Vous pouvez d'ailleurs constater par vous-même que je ne subis plus l'influence des champs magiques, car ce qui ne s'est pas manifesté immédiatement est maintenant flagrant : mon métamorphe n'est plus.
Je me sens en transition vers autre chose, vers une puissance que je suis très loin d'appréhender et que je redoute peut-être. Mais je sens au plus profond de moi que c'est sur cette puissance que je vais devoir compter pour organiser mon nouvel état, celui que je suis devenu. Ce nouveau Ka, je l'avais aperçu, ou plutôt entre-aperçu. Aujourd'hui je le ressens, il s'écoule en moi et je sens-là une énergie prodigieuse, une puissance quasi sans limites même si j'en ignore presque tout.
Adieu aussi l'esprit de mon simulacre. Cette présence qui était comme un ombre, un bruit, une résonance sans cesse présente mais à laquelle je ne faisais presque plus attention, a complètement disparu. Je le sens, il n'en reste plus rien. Cela est assez perturbant. Je m'étais habitué à cette présence qui me rappelait mon statut d' « invité » - certes forcé - et que ce corps ne m'avait pas toujours appartenu. Aujourd'hui il est entièrement mien. Etrangement je ne sais pas si je m'y sens mieux pour autant.
J'ai toujours, même si mon comportement ne l'a pas forcément reflété, souhaité témoigner du respect aux humains, vivre dans une certaine harmonie avec eux. Pourtant je n'ai aucun remords d'avoir pour toujours effacé l'esprit de mon simulacre. C'est dans ma nature après tout. D'ailleurs, je ne sais pas encore en quoi cette nouvelle nature va modifier mon rapport à l'humanité. J'espère conserver mes convictions. Mais le changement qui s'opère en moi est si profond et systématique que je ne prendrai pas le risque de parier sur ce que je serai dans un an, ou même un mois.
Mes chers cousins, je me questionne autant que vous sur ce que ce nouvel état a changé chez moi - certainement davantage en fait – ainsi que sur l'altération que j'ai subi et qui n'est que le début d'un long processus, je le sens.
Néanmoins je sais que mon esprit n'a pas changé, ou du moins qu'il m'appartient de construire ma nouvelle identité selon mes normes. Je compte sur vous dans ce nouveau voyage que j'entreprends. Les révélations et surprises seront forcément nombreuses, je souhaite juste qu'elles ne nous séparent pas. Je n'aborderai pas cette démarche dans le secret, et vous en saurez bientôt beaucoup plus sur vos cousins - sur moi – à la seule condition que nul préjugé ou appréhension ne se dresse en mur entre nous.
Comme je vous le disais, mon coeur s'est assombri. La frontière entre la vie est la mort a perdu pour moi son aspect absolu. Désormais, alors que je perçois pour la première fois certaines manifestations du monde des morts, je m'interroge dans les mêmes termes qu'Euriclide. Ce frère déchu, ou peut-être un humain qui sait, a bien résumé le nouvel état d'esprit qui m'anime : « Qui sait si la vie n'est pas la mort et si ce n'est pas la mort que les hommes appellent la vie ? ».
Sam 10 Mai - 19:59